dimanche 9 mars 2014

Allaitement, solidarité et incohérences...

Collecte nationale de la banque alimentaire dans mon supermarché. Je jette un œil au tract pour orienter mes courses et quand je vois que "lait maternisé" est sur la liste, mon état d'esprit passe de l'agacement (cette appellation est illégale depuis de nombreuses années) à l’abattement, pour finalement se calmer... Et si je proposais d'organiser des réunions d'information dans les locaux d'une des associations d'aide alimentaire de ma ville?


Les études montrent année après année que le taux d'allaitement français est inhomogène selon la catégorie socio-professionnelle de la famille. Pour faire un raccourci simple, les taux d'allaitement les plus hauts sont observés dans les familles les plus aisées.
Comme je le disais dans un précédent article, la décision d'allaiter ne devrait pas se prendre en fonction de la garniture de son compte en banque. C'est néanmoins assez paradoxal qu'une famille en difficulté financière est plus prompte à dépenser environ 500€ sur 6 mois qu'une famille aisée.


Pour contrer l' image de modernité et d'ascenseur social véhiculée encore aujourd'hui par le biberon, il "suffirait" d'apporter l'information nécessaire en matière d'allaitement aux familles. Effectivement, aux côtés de ces images erronées, le manque d''information et les mauvaises informations font de gros dégâts chez les mères. En 2009, la Semaine Mondiale de l'Allaitement avait ainsi choisi pour thème "l'Allaitement maternel, un atout en situation de crise" (traduction française).


Affiche de la Semaine Mondiale de l'Allaitement Maternel en Argentine


En déposant les conserves et autres achats dans les chariots dédiés à la collecte, j'amorce la discussion avec les bénévoles et entre de suite dans le vif du sujet. Une des personnes est très intéressée mais je suis vite arrêtée par une autre, elle ne peut pas me donner de réponse, il faut voir avec le responsable de secteur... qui arrive justement.
Je réexplique l'idée que je viens d'avoir, apporter de l'information aux familles en matière d'allaitement, etc.
- Mais concrètement, c'est quoi, du matériel?
... Hum, je n'ose répondre que je compte pas prêter mes seins et qu'à part d'une paire de seins (et même d'un seul!) une mère n'a besoin d'aucun matériel!


Je me heurte à une vision à court terme:
Seul un bébé est né en fin d'année dernière et aucune des bénéficiaires n'est actuellement enceinte. Cette situation ne nécessite pas selon lui une diffusion d'information.
J'essaie d'argumenter qu'une réunion trimestrielle, même si elle est annulée pour cause d'absence de participants, reste une bonne chose, puisqu'elle fait connaître l'existence même de l'allaitement et d'un endroit où se renseigner.

La discussion se poursuit. Le responsable explique que les jeunes mères qu'il croise n'allaitent jamais, qu'elles ne veulent pas (çà conforte exactement les résultats des études...). Elles viennent chercher des boîtes de lait et lui n'a parfois pas assez pour répondre à la demande.
J'esquisse un rapide aperçu des bienfaits de l'allaitement, je glisse l'estimation du coût des 500€ sur les 6 premiers mois de vie... Et lui de me répondre, d'un ton fataliste: "mais, les boîtes, elles les reçoivent gratuitement".

Boîte: 25$ pièce; Biberon: 10$ pièce; Rappels: des centaines; Anticorps: zéro; Allaitement: gratuit


Et tout d'un coup, je comprends pleinement la difficulté qu'il y a à rompre ce cercle vicieux. L'utilisation des préparations lactées est tellement ancrée, l'information de grande envergure tellement absente, qu'il est extrêmement difficile pour ces femmes de faire un choix éclairé. Je ne m'étendrai pas sur la non-formation de bon nombre de professionnels de santé qui entretient aussi cette disparité des taux d'allaitement au sein de la population française.
Le frein qui aurait pu être financier est comblé par une solidarité mal-placée.

Pourtant, qui dit lait infantile dit biberons, nettoyage, stérilisation, eau minérale... Si les familles peuvent obtenir des boîtes de lait gratuitement auprès des associations, la "garniture" n'est pas forcément assurée. La facture d'énergie qui est aussi influencée par la préparation des biberons, n'est pas forcément prise en charge par les aides distribuées aux familles.
Par ailleurs, lorsque ces familles accèdent à un emploi et qu'elles ne bénéficient plus de l'aide alimentaire, les frais liés à la préparation des biberons deviennent alors entièrement à leur charge.
Il est aussi établi qu'il existe des frais dits secondaires qui sont liés aux frais de santé.
Il est donc indéniable que l'alimentation au lait infantile n'est pas à coût zéro pour la famille, même si le lait est distribué gratuitement.

L'incohérence est pour moi totale. On fait appel à la générosité pour obtenir (en partie) un produit payant, alors qu'un produit, non pas similaire, mais bien supérieur est disponible gratuitement en chaque mère.
Cette incohérence est entretenue par les professionnels de santé qui ne soutiennent pas les mères allaitantes, qui diffusent de mauvais conseils, voire qui sabordent simplement les allaitements. Les travailleurs sociaux devraient aussi être sensibilisés aux bienfaits de l'allaitement, pour l'enfant, la mère et toute la famille; ils pourraient ainsi orienter les mères vers des professionnels formés.
L'incohérence est entretenue par les associations d'aide alimentaire, qui d'une part réclament des laits infantiles et qui d'autre part ne mettent aucune information en matière d'allaitement à disposition des familles.
L'opinion populaire, élevée à grands renforts de publicités quasi-mensongères et reprenant les théories erronées taxant les mères allaitantes de rétrogrades, fait le reste.

Je fabrique du lait. Quel est ton super-pouvoir?


Pendant ce temps, un bénévole rangeait consciencieusement les boîtes de lingettes jetables destinées aux changes des nourrissons...

2 commentaires:

  1. C'est sans doute un peu plus complexe aussi... Allaiter, ça veux dire avoir du temps à consacrer à l'enfant.Contrairement à ce qu'on pourrait croire, être au chômage ne veux pas dire avoir du temps. Il suffit de faire la queue à la caf pour comprendre comment on le perd. Pour allaiter dans notre société, il faut être sur de soi. Je ne développe pas, c'est pas la peine. Il faut également être bien entouré. C'est sans doute un cliché, mais les femmes qui viennent à la banque alimentaire, ce n'est pas dit qu'elle soit entourée tout court, que ce soit bien ou mal. Il faut avoir de l'énergie: la fatigue et la baisse de moral font baisser la lactation. Il faut enfin pouvoir se nourrir à sa faim, et la faim d'une femme allaitante est immense.

    Ceci dit, oui, informer, c'est une bonne chose. Mais en sachant aussi qu'il faut pouvoir recevoir l'information, et que ça c'est plus difficile.

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    1. Bonsoir Ma-L,

      Effectivement, "recevoir" l'information n'est pas aussi aisé. Plus l'information sera diffusée, plus elle sera recevable par les femmes et leurs familles et plus elle sera reçue.

      Avoir un enfant signifie lui consacrer du temps, allaitement ou non. Et l'allaitement peut être un précieux allié. Une tétée peut se donner discrètement pendant l'attente à la Caf; c'est plus compliqué (voire impossible) de préparer un biberon.
      Car les mères au chômage ont plus que rarement une place en crèche et n'ont pas beaucoup de possibilités de garde pour leurs enfants.

      Vous avez raison: l'entourage est un facteur clé dans la réussite de l'allaitement. L'entourage, c'est au-delà de la famille, c'est aussi la sage-femme qui suit la mère durant la grossesse et en post-partum, c'est l'assistante sociale qui connaît la situation familiale, c'est aussi les bénévoles de l'aide alimentaire qui vont discuter avec elle...

      Quant à la confiance en soi, elle peut aussi venir pour certaines être formidablement boostée par le fait de nourrir soi-même son bébé.

      Une précision sur la lactation: La fatigue ou le stress influencent le réflexe d'éjection et non la production de lait.

      Je ne prétends pas que l'information résoudra tout, mais elle permettrait de faire avancer grandement le sujet.

      Merci de votre passage et de votre commentaire.

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